Matthias, n’est pas son vrai prénom, mais si vous le voulez bien, appelons-le Matthias. Quand je lui ouvre la porte du cabinet, j’ai malgré moi un mouvement de recul. Son regard noir, dur, vient se planter dans mon propre regard. J’essaie malgré tout de ne rien laisser paraître mais ce premier face à face va venir teinté toute la séance. Il me raconte son histoire de père alcoolique et faible, d’insomnie dès l’âge de 13 ans, un mal être général qui a (re) surgit quand après plus de 10 ans de vie commune avec une femme diagnostiquée bipolaire, ils se séparent. Quelques mois, plus tard, il rencontre Anne et décident ensemble d’acheter une maison. Au dernier moment, il se rétracte, sans raisons apparentes et s’en veut cruellement de cette décision qui ne lui ressemble pas : «Quand je décide quelque chose, je mets tout en place pour aller jusqu’au bout, je suis comme ça!»
Les expressions de son visage alternent entre une moue tristoune et une colère sourde qui durcit ses mâchoires. Je perçois que tout son corps est sous contrôle et que cette première séance ne donnera pas grand chose, il faut d’abord préparer le terrain. Je ne suis pas partisan d’une hypnose qui embrume le cerveau avec des tours de passe-passe sémantiques. Je préfère de loin que la personne sente dans chaque fibre de se son corps là où elle en est aujourd’hui, là où les blocages empêchent toute avancée, forcent au piétinement. Comme je le préssentais, l’hypnose est assez décevante, comme des herses, les protections sont levées et le corps s’arc-boute sur ses positions. C’est l’échec. «je me doutais bien qu’une seule séance ne suffirait pas. », confie t-il avec une once de déception mêlée de soulagement.
Pourtant c’est sans doute à ce moment précis (même si sur le moment je n’en ai aucune conscience) que quelque chose se passe. La cuirasse, comme il l’appellera plus tard a tenu bon, personne n’a pu la forcer. La deuxième séance 10 jours plus tard va prendre une autre direction. Je lui explique que le contrôle révèle peut-être avant tout la peur de blesser l’autre, de faire du mal, comme si l’accès à une forme de lâcher prise était aussi la porte ouverte aux débordements, à la violence trop longtemps contenue. Je sens que cette remarque le met mal à l’aise, son corps se raidit et je ne manque pas de pointer ces tensions. L’atmosphère de la pièce change comme si la peur devenait palpable. La herse est levée et l’hypnose peut-être accueillie comme une porte de sortie. tout son corps se laisse glisser dans la transe. C’est le moment où la désordre apparent augure d’un nouvel ordre encore peu familier. Le moment où le corps vient trouver un nouveau souffle, où il accepte de troquer une structure factice pour de nouveaux points d’ancrage.
Matthias mettra quelques minutes à sortir de la transe, un peu sonné mais pas complètement surpris de ce qu’il y a trouvé : «Je savais que c’était là, ça c’est moi.»
La troisième séance tient plus de la formalité. Matthias y réécrit le récit de ses découvertes. Peu importe, c’est peut-être déjà du passé. Le visage lui a changé, les traits se sont adoucis et si la tension sous-jacente de son corps n’a pas complètement disparue, son écho est plus lointain.
Dans sa famille on achète des appartements et on les revend. «J’ai voulu faire pareil, mais au fond, je n’ai rien à voir avec ça, je n’en ai pas besoin. Je veux juste vivre».
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