Marie-Ange est venue me voir une première fois avec son fils de 10 ans. Toujours dans les jambes de sa mère, le garçon ne voulait pas revenir tout seul à pieds de l’école, par peur d’être kidnappé dans une camionnette, m’avouera –t-il. Le retrait du jeune garçon est presque aussi visible que la colère de la maman. Finalement, on décide de programmer une séance pour elle la semaine suivante. Mal à l’aise sur son siège, on sent que Marie-Ange n’est pas du genre à se croiser les pouces et ne tarde pas à raconter son histoire dans le menue. D’origine portugaise, elle se marie avec un portugais dont elle ne tardera pas à divorcer. Le divorce est à peine prononcé qu’elle devient une paria aux yeux de sa famille. Elle ne se l’explique pas. En même temps, sa mère lui confie qu’elle a un amant et c’est Marie-Ange qui se charge de l’annoncer à son père. Depuis quelques mois il pleurait sans arrêt.
Je lui demande de regarder sa main droite et de fermer les yeux quand elle se sent fatiguée. Elle ne fermera jamais les yeux. Elle ne cherche pas à résister à la suggestion, elle n’a même pas d’énergie à gaspiller à cela, elle est déjà toute entière dans sa position, absorbée dans la rumination de sa colère et de son impuissance.
Quand je l’interroge sur ce qu’elle vit, elle répond :
- le vide !
- Quel vide ?
- J’ai la main tendue vers le vide, il n’y a personne en face pour me prendre la main !
Comme sidérée par son constat, elle retourne dans son silence et au bout de quelques minutes commence à regarder bizarrement sa main.
- Qu’est-ce qui lui arrive à votre main ?
- Ce n’est pas la mienne ! C’est une main de vieille toute ridée avec pleins de taches dessus. La peau est transparente et je vois bien les os à travers…
- Oui, le temps passe vite, on le sait tous et pourtant nous en sommes toujours surpris.
Nous avons attendu tranquillement que la main retrouve son aspect normal. La colère de Marie-Ange était toujours là, récalcitrante mais désormais à portée de main.