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Vous avez changé de fauteuil?



Cléa arrive au cabinet accompagnée de sa maman. Sa démarche est très raide, comme empêchée. Elles s’assoient toutes les deux, bien sagement comme deux enfants. Cléa me regarde avec de grands yeux curieux mais c’est la maman qui prend tout de suite la parole pour m’expliquer que sa fille a du retard dans ses apprentissages, qu’elle n’est pas comme les autres et souffre de dermatillomanie. Je ne sais pas ce que c’est et je demande à la jeune fille de m’expliquer. Visiblement un peu intimidée, elle m’apprend qu‘elle se gratte compulsivement le corps, surtout le visage et les avant bras parfois jusqu’au sang et surtout devant le miroir. Pour constater par moi-même, je lui demande d’ôter son masque. Effectivement, elle a quelques boutons un peu rouges sur le bas du visage, mais rien de bien significatifs, surtout pour une adolescente en pleine transformation. Toutefois, je me garde bien d’émettre un quelconque commentaire, il ne s’agit pas de minimiser le symptôme , motif conscient et autorisée de sa consultation.


Je ne vais revenir ici sur le contenu des séances, ce n’est pas l’objet. Passée la phase d’observation et en l’absence de la maman, Cléa se révèle une ado pleine de surprises, sans doute décalée par rapport à son entourage mais qui se livre facilement et fait preuve d’un véritable investissement pendant les séances. Elle a de la facilité à aller en transe et semble y prendre beaucoup de plaisir. J’ai perçu également qu’elle se sentait fière d’y réussir face à une maman qui ne travaille plus depuis des années concentrées uniquement sur les problèmes de ses trois enfants, devenus le centre de sa vie.


Au début de la quatrième séance, j’accueille de nouveau Cléa et sa maman. Avant de s’asseoir, Cléa, surprise me dit : «Vous avez changé de fauteuil?»

Comme ce n’est pas première fois que j’entends ce genre de remarque et que j’en perçois aujourd’hui la portée, je me garde bien de lui dire le contraire pour l’instant. «Et alors, ils sont plus confortables ?» Elle le teste en oscillant son bassin de gauche à droite. «Ah, oui, rien à voir». Entre temps, elle m’aura montré avec un grand sourire, un visage lisse de bouton sous son masque. La différence n’est pas si marquante que cela, mais je partage son enthousiasme.


Cléa était mal assise dans sa vie d’adolescente et dans sa relation avec une maman anxieuse. Au fil des séances, elle a sans s’en rendre compte, changé de position, elle a réussi à s’installer confortablement dans le fauteuil.

Sans doute que la grattage compulsif était l’expression d’un mal être, mais au fond ce qui la démangeait c’est plus l’impossibilité de jouer et de s’adapter avec l’ensemble des contraintes qui ligotaient l’expression de sa liberté.

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